Santé publique en France, l’enjeu de prévenir plutôt que guérir
Face à la progression des maladies chroniques et à la persistance d’inégalités sociales en matière de santé, la France déploie un large éventail de politiques publiques. Inspirée par l’Organisation mondiale de la santé, cette stratégie vise à agir sur tous les déterminants, du logement à l’alimentation, en passant par la vaccination et l’environnement.
En France, les politiques publiques de santé reposent sur un principe clé : chaque secteur doit contribuer à améliorer l’état de santé de la population. Ce concept, appelé Health in All Policies, s’inscrit dans la Stratégie nationale de santé (SNS), mise à jour tous les cinq ans depuis 2014. Le plan 2018-2022 fixait par exemple quatre axes : mettre la prévention au cœur, lutter contre les inégalités territoriales et sociales, garantir la qualité et la sécurité des soins, et innover pour transformer le système de santé. Ces orientations se traduisent par des mesures législatives, fiscales, éducatives ou environnementales.
Tabac, vaccination et prévention comme indicateurs clés de la santé publique
Le tabac reste un enjeu majeur et un indicateur clé de l’efficacité des politiques publiques. Responsable de 75 000 décès annuels selon l’Observatoire français des drogues et tendances addictives (OFDT), il représente la première cause de mortalité évitable. La loi Évin, promulguée en janvier 1991, a marqué un tournant en interdisant la publicité pour le tabac et en réglementant le tabagisme dans les lieux publics. En 2007, le décret interdisant de fumer dans les bars, restaurants et discothèques a étendu cette protection. L’introduction du paquet neutre, votée en 2015 et appliquée dès janvier 2017, a complété l’arsenal, associée à des hausses régulières de taxes, avec pour objectif un prix de paquet à 10 euros atteint en 2020. Résultat : les ventes de cigarettes manufacturées sont passées de 83,6 milliards d’unités en 2000 à 38,5 milliards en 2020. Malgré ces progrès, environ 24 % des adultes restent fumeurs quotidiens. Sur la scène internationale, l’Australie a imposé le paquet neutre dès 2012 et augmenté les taxes jusqu’à ce que le prix du paquet dépasse 25 euros, réduisant la prévalence du tabagisme à moins de 14 %. Le Japon, quant à lui, vise une « société sans tabac » à l’horizon 2035 avec un programme national alliant restrictions, fiscalité et prévention ciblée.
En matière de vaccination, la France a pris une décision forte en janvier 2018 : l’extension de l’obligation vaccinale de 3 à 11 vaccins pour les enfants de moins de deux ans. Cette mesure inclut, outre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, les vaccins contre la coqueluche, l’haemophilus influenzae b, l’hépatite B, le pneumocoque, le méningocoque C, la rougeole, les oreillons et la rubéole. L’objectif était de relever la couverture vaccinale au-dessus du seuil d’immunité collective de 95 %, nécessaire pour stopper la circulation de certaines maladies. Les résultats sont rapides : la couverture contre le méningocoque C est passée de 78 % en 2017 à 90 % en 2020, et les cas sont tombés de 149 en 2017 à seulement 8 en 2022. L’Italie a adopté en 2017 une loi similaire portant le nombre de vaccins obligatoires à 10, tandis que certains États américains conditionnent l’entrée à l’école à la vaccination, avec des disparités selon les exemptions permises. Pour l’OMS, une couverture vaccinale élevée évite chaque année entre 2 et 3 millions de décès dans le monde.
La prévention concerne aussi la santé sexuelle et la lutte contre les infections sexuellement transmissibles (IST). En 2023, près de 3 600 nouvelles contaminations par le VIH ont été recensées en France, soit un taux de 5,3 pour 100 000 habitants, tandis que les cas de chlamydia et de gonorrhée ont continué d’augmenter, en particulier chez les moins de 30 ans. Pour répondre à cette progression, la France a simplifié l’accès au dépistage : depuis septembre 2024, tout assuré peut se faire tester sans ordonnance, gratuitement et sans rendez-vous en laboratoire pour le VIH et quatre IST (chlamydia, gonorrhée, syphilis, hépatite B). Par ailleurs, les préservatifs masculins et féminins sont distribués gratuitement aux moins de 26 ans, et la vaccination contre l’hépatite B et le papillomavirus (HPV) est renforcée, notamment avec la généralisation en 2023 de la campagne de vaccination HPV en milieu scolaire pour les élèves de 5ᵉ. L’objectif est d’atteindre une couverture de 80 % d’ici 2030, contre environ 45 % aujourd’hui. La PrEP (prophylaxie pré-exposition), traitement préventif contre le VIH, bénéficie également d’un élargissement d’accès, avec la possibilité d’initier la prescription en médecine de ville depuis 2021. Sur la scène internationale, le Royaume-Uni a mis en place dès 2017 un programme national de PrEP, permettant de réduire de 40 % les nouvelles infections par le VIH à Londres en cinq ans. L’Australie, quant à elle, affiche une couverture vaccinale HPV supérieure à 80 % et ambitionne d’éliminer le cancer du col de l’utérus comme problème de santé publique d’ici 2035.
Mieux manger pour mieux prévenir
L’alimentation et la nutrition constituent un autre champ d’action essentiel. Le Programme National Nutrition Santé (PNNS), lancé en 2001, a instauré des repères clairs (« 5 fruits et légumes par jour », « moins de sel, moins de sucre, moins de gras ») et s’appuie depuis 2017 sur l’étiquetage Nutri-Score. Cet outil, développé en France et adopté par d’autres pays européens comme l’Espagne, la Belgique ou l’Allemagne, classe les produits de A à E selon leur qualité nutritionnelle. La taxation des boissons sucrées, instaurée en 2012 et relevée en 2018, complète la stratégie. Les effets sont tangibles : la consommation moyenne de sodas a reculé de 3,7 % entre 2012 et 2019. Cependant, seuls 20 % des adultes atteignaient la recommandation de 5 portions de fruits et légumes en 2021, selon Santé publique France. Le Royaume-Uni a lancé le programme 5 A Day dès 2003 et instauré en 2018 une taxe sur les boissons sucrées, incitant les industriels à reformuler leurs produits. Le Mexique, pionnier dans ce domaine, a mis en place en 2014 une taxe de 10 % sur les sodas, entraînant une baisse de 12 % des ventes dès la première année.
D’autres volets illustrent la diversité des leviers mobilisés. L’alcool est encadré depuis 1991 par la loi Évin, qui limite sa publicité et interdit tout ciblage des mineurs. Des campagnes comme Dry January, importées du Royaume-Uni en 2020, encouragent une consommation modérée. En Suède, le monopole d’État sur la vente d’alcool via le réseau Systembolageta contribué à réduire la consommation annuelle moyenne à 8 litres d’alcool pur par habitant, contre plus de 11 litres en France. L’activité physique bénéficie en France d’un dispositif de « sport sur ordonnance » introduit en 2017, permettant aux médecins de prescrire une activité adaptée aux patients atteints de maladies chroniques. L’Irlande, de son côté, a mis en œuvre dès 2016 un Plan national d’activité physique prévoyant la construction de pistes cyclables, de parcs et d’équipements sportifs accessibles. Enfin, les politiques environnementales se renforcent, avec la loi Climat et résilience de 2021 qui prévoit la création de zones à faibles émissions pour réduire la pollution atmosphérique, responsable de près de 40 000 décès prématurés par an en France selon Santé publique France.
Les résultats sont indéniables : baisse significative de la consommation de tabac, couverture vaccinale parmi les plus élevées d’Europe, progression de la sensibilisation nutritionnelle. Les défis, cependant, restent immenses. Le nombre de personnes atteintes d’obésité a été multiplié par trois en 40 ans, touchant aujourd’hui 17 % des adultes. Les maladies chroniques représentent 70 % des décès, et l’écart d’espérance de vie entre les 5 % les plus riches et les 5 % les plus pauvres dépasse 6,4 ans chez les hommes, selon l’INSEE. Les spécialistes insistent sur un constat : les changements individuels ne suffisent pas. C’est l’environnement global, économique et social qui conditionne la santé d’une population. Les décisions politiques prises aujourd’hui déterminent l’état de santé et l’espérance de vie des générations à venir.
*Source image: profilmédecin.fr