Le CHU de Caen se retrouve sans internes, faute de moyens
Symbole d’un hôpital public en tension, le CHU de Caen ne forme plus d’internes aux urgences depuis le 3 novembre 2025, une décision sans précédent prise pour raisons de sécurité et de sous-encadrement médical. Pendant six mois, les étudiants en médecine sont exclus du service, mettant à nu les fragilités d’un système à bout de souffle.
Depuis des décennies, les urgences du CHU de Caen accueillent chaque jour plus de 150 patients. La population vieillissante, les déserts médicaux alentours, les fermetures ponctuelles d’établissements voisins augmentent encore la pression. En 2025, le service tourne à flux tendu. Moins de 40% des postes médicaux sont pourvus. Les internes prennent le relais, mais les équipes s’épuisent. Des gardes avec un seul médecin sénior. Des étudiants en première ligne, parfois sans encadrant. Une attente qui dépasse 10 heures pour certains patients. Une détresse qui devient visible, puis ingérable.
Sous-effectif critique aux urgences du CHU de Caen
À l’automne, la faculté de médecine de Caen a pris la décision de retirer l’agrément pédagogique. Celle-ci a été annoncée en interne fin octobre. Dès le 3 novembre, le service se retrouve sans internes, sans externes, sans docteurs juniors. Les stages sont suspendus pour tout le semestre. Les étudiants sont réaffectés en urgence dans d’autres hôpitaux. La direction tente de maintenir l’activité. La réserve sanitaire est mobilisée. Des renforts arrivent d’autres établissements. Le service reste ouvert, mais le fonctionnement repose sur un équilibre précaire. Deux à trois médecins titulaires assurent à eux seuls l’accueil des patients sur 24 heures.
La suspension de stage dans un centre hospitalier universitaire reste une mesure rare. À Caen, elle reflète une situation devenue intenable. Le manque de médecins seniors rend impossible la formation des jeunes praticiens. Le déséquilibre entre charge de soin et capacité d’encadrement atteint un seuil critique. Le retrait de l’agrément apparaît alors comme une mesure de protection. Pour les étudiants, pour les soignants, pour les patients.
Les syndicats d’internes saluent une décision responsable. Depuis plusieurs mois, ils alertent sur les conditions de travail. Des témoignages évoquent la surcharge, l’angoisse, l’épuisement. La commission de subdivision valide la suspension. La faculté engage une réorganisation du service. Un plan de retour est prévu pour mai 2026. Il faudra recruter au moins quinze médecins seniors. Il faudra bâtir un projet pédagogique solide. Il faudra restaurer la confiance.
À court terme, le CHU s’adapte. Les renforts temporaires compensent l’absence des internes. Les patients sont toujours pris en charge. La régulation par le 15 filtre les urgences non vitales. Les autres services de l’hôpital sont sollicités. Des généralistes du territoire viennent prêter main-forte. Seul problème, cette organisation ne tient qu’à fil tendu. Le personnel dénonce une médecine dégradée. Les files d’attente s’allongent. Les équipes médicales sont réduites à l’essentiel.
La direction affirme que le service restera ouvert de jour comme de nuit. Mais sur le terrain, l’inquiétude domine. L’absence d’internes augmente la charge sur les titulaires. Le risque d’erreur grandit. La fatigue s’installe. Pour de nombreux soignants, le retrait des étudiants n’est pas une solution mais un symptôme. Le symptôme d’un système en surchauffe.
Les hôpitaux publics confrontés à une crise nationale
La situation du CHU de Caen n’est pas isolée. Depuis plusieurs années, les urgences hospitalières traversent une crise nationale. Le manque de praticiens, la surcharge des services, les départs non remplacés fragilisent les équipes. Dans plusieurs régions, des urgences ferment temporairement. Des maternités disparaissent. Des hôpitaux réduisent leur activité. Le cas de Caen marque un nouveau seuil. Même un établissement universitaire, doté d’un plateau technique complet, ne parvient plus à garantir la formation médicale.
Les patients en subissent déjà les conséquences. Dans le Calvados, le seul service privé d’urgences ferme ponctuellement ses portes. Les personnes âgées, les habitants des zones rurales, les personnes en situation de handicap dépendent encore plus de l’hôpital public. Les distances s’allongent. Les prises en charge se décalent. La médecine d’urgence devient un privilège de proximité.
La suspension des internes ne touche pas seulement les effectifs. Elle interroge la place de la formation dans l’organisation des soins. Pendant des années, les jeunes médecins ont absorbé les sous-effectifs. Ils ont assuré les gardes, les consultations, les hospitalisations. Leur travail s’est confondu avec celui des titulaires. Leur apprentissage a souvent cédé la place à la charge de service.
En France, plus de 6 millions de personnes vivent à plus de 30 minutes d’un service d’urgence. Plus de 40 % des postes de médecins urgentistes ne sont pas pourvus dans certains hôpitaux. Le nombre d’urgences ayant dû fermer ponctuellement faute de personnel a doublé depuis 2019. L’expérience du CHU de Caen rappelle que sans encadrement suffisant, ni formation ni soins ne peuvent être assurés. Cette situation pourrait concerner d’autres établissements dans les mois à venir si aucune réponse structurelle n’est apportée.
De Laure ROUSSELET
*Source image: Banque libre de droits - CANVA
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