En France, l’accès aux soins se heurte aux inégalités
En France, l’accès universel aux soins reste un objectif majeur de santé publique. Plus de 99 % des résidents disposent d’une couverture maladie, résultat de choix politiques successifs. Pourtant, des inégalités territoriales et sociales persistent, allant jusqu’à priver certains patients d’un suivi médical régulier.
L’un des principes fondateurs du système de santé français est la volonté d’assurer un égal accès aux soins pour tous les citoyens, quels que soient leurs revenus ou leur lieu de vie. Depuis la création de la Sécurité sociale en 1945, les gouvernements ont multiplié les mesures pour concrétiser ce droit à la santé. La France se distingue par une couverture maladie universelle très large. En 2023, plus de 99 % des résidents disposent d’une assurance santé de base, principalement via la Sécurité sociale. Pour les plus modestes, l’État a instauré la Complémentaire Santé Solidaire, anciennement CMU complémentaire, qui permet de prendre en charge intégralement la part des frais restant à payer. Fin 2018, environ cinq millions de personnes à faibles revenus bénéficiaient de cette complémentaire gratuite, ce qui évite que le coût des soins devienne un frein.
Le dispositif 100 % Santé, mis en œuvre à partir de 2020, garantit le remboursement intégral de certaines dépenses coûteuses comme les lunettes, prothèses dentaires et auditives. Ces mesures contribuent à réduire les barrières financières à l’accès aux soins. La France affiche ainsi l’un des plus faibles taux de renoncement aux soins pour raisons financières en Europe. Les soins courants sont remboursés à environ 70 % par l’Assurance maladie et le complément est souvent pris en charge par des mutuelles ou la Complémentaire Santé Solidaire pour les personnes précaires.
Quand la carte de France révèle les inégalités de soins
Le principe d’égalité d’accès ne garantit pas la présence de professionnels de santé sur l’ensemble du territoire. Les déserts médicaux désignent des zones où l’offre de médecins est insuffisante pour répondre aux besoins. Environ 30 % de la population vit dans un désert médical ou une zone sous-dotée. En 2022, près de six millions de Français, soit 11 % de la population, n’avaient pas de médecin traitant. Cette pénurie de médecins de famille, particulièrement marquée dans certaines zones rurales ou périurbaines, trouve en partie son origine dans les décisions passées. Entre les années 1980 et 2000, le numerus clausus, qui limitait le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine, était très restrictif.
Les choix politiques en matière de formation et de répartition des soignants ont donc un impact durable. Aujourd’hui, le numerus clausus a été remplacé par un numerus apertus afin d’augmenter progressivement le nombre de jeunes médecins diplômés. L’État propose également des incitations financières pour attirer des praticiens dans les régions sous-dotées, comme des bourses pour les étudiants s’installant en zone rurale, des contrats d’engagement de service public ou la création de maisons de santé pluridisciplinaires subventionnées. Les inégalités territoriales continuent pourtant de se creuser et la désertification médicale s’aggrave dans certains départements. Vivre dans un désert médical a des conséquences concrètes. Le taux de renoncement aux soins y est deux fois plus élevé qu’ailleurs et huit fois plus élevé lorsque la personne cumule faible accès géographique et faibles revenus. Un habitant précaire d’une zone mal dotée est donc beaucoup plus susceptible de reporter ou d’abandonner des soins nécessaires, ce qui peut conduire à une perte de chance.
L’égalité d’accès ne rime pas toujours avec égalité de santé
Au-delà de l’accès géographique, la santé d’une population dépend fortement des conditions socio-économiques. En France, pays doté d’un système de protection sociale développé, des écarts considérables d’espérance de vie persistent selon le niveau de vie ou la catégorie sociale. Les hommes les plus riches vivent en moyenne treize ans de plus que les plus pauvres. Chez les femmes, cet écart atteint environ huit ans. Ce constat, souligné par la Commission nationale des droits de l’homme, révèle que l’égalité formelle d’accès aux soins ne garantit pas l’égalité réelle en matière de santé. Les politiques publiques peuvent réduire ou aggraver ces écarts. Une politique de dépistage gratuit dans les quartiers défavorisés améliore la détection précoce de maladies et réduit l’écart de mortalité entre classes sociales. À l’inverse, des franchises médicales ou des restes à charge élevés pénalisent davantage les ménages modestes.
En France, l’aide médicale d’État prend en charge les personnes en situation irrégulière et la quasi-totalité des soins lourds comme les hospitalisations, interventions chirurgicales ou traitements coûteux est financée à 100 % par la collectivité, afin d’éviter les renoncements pour motif financier. Des inégalités persistent toutefois en matière de prévention. Par exemple, le taux de participation aux dépistages reste plus faible dans les milieux populaires.
Le lien entre décisions politiques et accès aux soins se vérifie également à l’international. Certains pays comme la France, le Royaume-Uni ou le Canada ont opté pour une couverture universelle pilotée par l’État. D’autres, comme les États-Unis, ont longtemps privilégié un système dominé par les assurances privées. Avant 2010, les États-Unis comptaient des dizaines de millions de citoyens sans assurance santé. L’Affordable Care Act, ou Obamacare, a rendu obligatoire la souscription d’une assurance et élargi Medicaid. Cela a fait passer la proportion de non-assurés d’environ 16 % en 2010 à 9 % en 2015. En 2023, environ 8 % des Américains, soit 30 millions de personnes, restent sans couverture maladie, une situation impensable en France.
L’Europe du Nord, vitrine d’une santé plus égalitaire
Les pays scandinaves se distinguent par des écarts de santé réduits entre riches et pauvres grâce à des politiques agissant sur tous les déterminants, comme l’éducation, le logement et la prévention dès l’enfance.
Le financement et l’organisation du système de soins dépendent directement des arbitrages politiques. En France, la maîtrise des dépenses via l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie a entraîné la fermeture de lits hospitaliers. Entre 2000 et 2022, leur nombre a baissé de 23 %. En 2023, près de 4 900 lits supplémentaires ont été supprimés. Cette réduction, souvent justifiée par le développement de l’ambulatoire, a engendré des difficultés d’accueil dans les urgences et dans certains services spécialisés. Les réformes comptables, comme la tarification à l’activité, ont privilégié la rentabilité à court terme, ce qui a fragilisé l’hôpital public.
En réponse, le Ségur de la santé de 2020 a débloqué huit milliards d’euros pour revaloriser les salaires hospitaliers et financer les hôpitaux de proximité. Les effets de ces investissements nécessitent toutefois du temps pour se traduire sur le terrain.
L’accès aux soins et l’égalité sanitaire sont des choix politiques autant que médicaux. Chaque décision, qu’il s’agisse du montant du budget de la Sécurité sociale, de la régulation de l’installation des médecins, de la gratuité de certains soins ou des investissements dans la prévention, a un impact direct sur la santé des citoyens. Les exemples français et internationaux montrent que les inégalités de santé peuvent être atténuées par des politiques volontaristes. La France conserve un système solidaire et performant, mais doit relever le défi de réduire les écarts qui se creusent entre zones rurales et urbaines et entre catégories sociales.
De Laure ROUSSELET
*Source image: banque d'images libre de droits - CANVA
Pour rappel, Petite Mu est le 1er média qui sensibilise aux handicaps invisibles 💛
Suivez-nous sur Instagram et TikTok
.png)