Santé mentale et séries : quand la fiction fait tomber les masques

Longtemps invisibilisée ou caricaturée, la santé mentale émerge désormais comme un thème central dans plusieurs séries télévisées. Dépression, anxiété, stress post-traumatique ou troubles bipolaires : autant de réalités qui trouvent aujourd’hui un écho dans la culture populaire. Si cette visibilité constitue une avancée importante, elle s'accompagne de nouveaux défis : entre sensibilisation, esthétisation de la souffrance et absence d'accompagnement structuré.

Depuis la fin des années 2010, des séries comme Euphoria (HBO), Sex Education (Netflix), Skins (Channel 4) ou encore 13 Reasons Why (Netflix) ont contribué à inscrire les troubles psychiques dans les récits contemporains. Ce mouvement s'inscrit dans un contexte d'alerte internationale : selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les troubles mentaux sont aujourd'hui la première cause de handicap chez les adolescents et les jeunes adultes. En France, Santé publique France rappelle que près d’un jeune sur deux (48 %) se dit en détresse psychologique, un chiffre en nette augmentation depuis la pandémie de Covid-19.

L’ambivalence des séries sur la santé mentale des jeunes

La mise en scène des troubles psychiques permet à de nombreux jeunes de mieux identifier leurs émotions, de comprendre qu'ils ne sont pas seuls, et de mettre des mots sur leur mal-être. Selon Santé publique France, 68 % des 15-24 ans estiment que les séries les ont aidés à mieux comprendre leurs propres problématiques émotionnelles.

Pour autant, la représentation de la santé mentale dans les séries reste ambivalente. Certaines œuvres peuvent renforcer des clichés ou véhiculer des images déformées de la souffrance. 13 Reasons Why a notamment suscité une forte polémique en 2017 : la série, qui explore le suicide d’une lycéenne, a été accusée de favoriser un effet Werther, en rendant l'acte suicidaire "montrable" et potentiellement contagieux pour les jeunes spectateurs. Une étude américaine avait observé une hausse de 28 % des suicides chez les adolescents aux États-Unis le mois suivant la sortie de la série.

Face à ces critiques, les plateformes ont progressivement intégré des messages de prévention et renforcé les avertissements, mais la question demeure : faut-il tout montrer pour ouvrir le débat, au risque d'aggraver certaines fragilités, ou limiter certaines représentations pour protéger les publics vulnérables ?

Euphoria : entre réalisme cru et esthétisation

Depuis 2019, Euphoria s’impose comme un phénomène culturel. La série dépeint le quotidien d’une adolescente, Rue, confrontée à ses addictions et à ses troubles psychiques, dans un environnement saturé par les drogues, le sexe et les réseaux sociaux.

Si la série offre un regard brut sur la descente aux enfers liée aux consommations précoces, elle est aussi critiquée pour sa mise en scène esthétique de la déchéance, qui pourrait, selon certains observateurs, rendre séduisante une réalité pourtant dramatique. La direction artistique léchée, l'ambiance hypnotique et les scènes stylisées de consommation peuvent parfois brouiller le message de prévention.

Néanmoins, Euphoria a aussi le mérite de montrer l’impact des addictions non seulement sur l’individu, mais également sur son entourage, soulignant la complexité des parcours de soins, les rechutes et les ruptures familiales ou scolaires. Ce regard est d’autant plus nécessaire que, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), près de 30 % des jeunes français de 17 ans déclarent avoir expérimenté des drogues illicites.

Skins : la série avant-gardiste

En 2007, Skins révolutionne la représentation de l’adolescence à l’écran. Contrairement aux séries plus classiques, elle refuse la simplification des troubles psychiques. Chaque personnage porte ses blessures : Effy traverse des épisodes de trouble bipolaire, Cassie lutte contre l’anorexie.

La série se distingue par son refus de proposer des arcs narratifs linéaires ou moralisateurs. Les troubles sont abordés dans toute leur complexité, avec des causes multiples et souvent un enchevêtrement d'émotions contradictoires : solitude, quête de reconnaissance, violence intérieure.

Skins contribue ainsi à faire évoluer la perception des troubles psychiques : loin de l'image du "fou dangereux", elle met en scène des jeunes vulnérables, souvent incompris, qui cherchent du soutien sans toujours trouver les bons interlocuteurs. À l’heure où, selon l'Inserm, près de 20 % des adolescents français souffrent de troubles anxieux ou dépressifs, la nécessité de représentations sensibles n'a jamais été aussi forte.

Libérer de tous tabous avec Sex Education

Sex Education propose une approche différente. La série adopte un ton plus léger pour parler de sujets sensibles liés à l’adolescence, mêlant sexualité, identité, anxiété sociale et stress post-traumatique.

En mettant en scène le soutien entre pairs, la libération de la parole et l’importance d’un encadrement bienveillant, elle montre que l’accès à la santé mentale ne passe pas seulement par la thérapie, mais aussi par un environnement où l'écoute et l'acceptation sont centrales.

Certaines thématiques rarement abordées dans les fictions pour adolescents y trouvent une place juste : par exemple, le stress post-traumatique suite à une agression, les pressions familiales conduisant à l’anxiété sévère, ou encore la gestion des premières expériences affectives et sexuelles. Si certains reprochent à la série d'accentuer les maladresses ou les incohérences du monde adulte, elle offre une représentation plus nuancée et optimiste de la santé mentale.

L’impact des séries sur la santé mentale

Depuis une vingtaine d’années, les séries télévisées participent à la déstigmatisation progressive de la santé mentale. Elles permettent de mettre en lumière des réalités longtemps tues, mais elles doivent aussi s’accompagner de dispositifs éducatifs, d'une meilleure contextualisation et d'une vigilance constante pour éviter les dérives sensationnalistes.

La représentation des troubles psychiques reste un chantier délicat : il s'agit à la fois de montrer la souffrance sans la glamouriser, de normaliser la demande d'aide sans banaliser les troubles, et d'encourager une vision collective de la santé mentale, au-delà des seuls destins individuels.

Dans un contexte où la détresse psychologique des jeunes progresse rapidement, notamment en France selon Santé publique France, le rôle des œuvres culturelles dans la sensibilisation aux enjeux de santé mentale est plus important que jamais. Une étude récente de l’UNICEF indique que la santé mentale des jeunes est aujourd'hui l’une des priorités sanitaires majeures dans près de 80 pays. À condition que ces récits continuent de s’inscrire dans une dynamique de responsabilisation collective.

De Laure ROUSSELET

*Source image: Banque d'images libres de droits - CANVA

Pour rappel, Petite Mu est le 1er média qui sensibilise aux handicaps invisibles 💛
Suivez-nous sur Instagram et TikTok