Les inégalités sociales au service de la santé en France
La santé ne se joue pas uniquement dans les hôpitaux ou les cabinets médicaux. Les conditions dans lesquelles on naît, grandit, travaille et vieillit influencent profondément notre bien-être et notre espérance de vie. En France, comme ailleurs, les écarts de santé reflètent directement les inégalités sociales et environnementales.
Depuis plusieurs décennies, l’OMS et la communauté scientifique soulignent que les déterminants sociaux de la santé pèsent davantage sur l’état de santé d’une population que l’accès aux soins curatifs, soins visant à traiter une maladie déjà installée afin d’en réduire ou d’en faire disparaître les symptômes.
Dans son rapport de référence publié en 2008, la Commission des déterminants sociaux de l’OMS dirigée par Michael Marmot affirme que les inégalités de santé ne sont pas inévitables et qu’elles sont le produit de conditions sociales injustes. Le niveau de revenu, le diplôme, la qualité du logement, la sécurité alimentaire, les conditions de travail, le soutien social ou encore l’exposition aux pollutions influencent directement le risque de tomber malade et l’espérance de vie. Le sociologue Didier Fassin rappelle dans L’empire du traumatisme (2007) que la santé est un indicateur de la justice sociale et un révélateur des priorités politiques.
Selon les données de The World Health Statistics 2024 de l’OMS, dans les nations à haut revenu, l’espérance de vie moyenne atteint environ 82 ans, contre 64 ans dans les pays à faible revenu, soit un écart de 18 années de vie. Ces différences s’expliquent autant par la qualité de l’alimentation, l’accès à l’eau potable ou la stabilité politique que par la médecine curative. En France, pays disposant d’un système de protection sociale avancé, les inégalités restent marquées. L’INSERM, dans son rapport 2023 sur les inégalités sociales de santé, note que l’espérance de vie des hommes cadres dépasse de 13 ans celle des hommes ouvriers, et que l’écart est de 8 ans chez les femmes. Entre 1980 et 2020, la progression de l’espérance de vie a été plus rapide chez les cadres que chez les ouvriers, accentuant le fossé.
L'insalubrité des logements, l'éducation, les conditions de travails et l'environnement mettent en péril la santé publique des français chaque année
Un habitat insalubre, mal isolé ou surpeuplé peut aggraver les maladies respiratoires, favoriser les accidents domestiques et affecter la santé mentale. Santé publique France recense environ 21 000 décès annuels dus à des traumatismes non intentionnels liés notamment à des domiciles inadaptés. L’exemple historique du saturnisme infantile, lié aux peintures au plomb dans les logements anciens dégradés, a montré que des politiques de rénovation et de lutte contre l’insalubrité peuvent avoir un impact sanitaire majeur.
Santé publique France observe que le respect des recommandations nutritionnelles augmente avec le niveau de diplôme : les diplômés du supérieur consomment davantage de fruits et légumes et moins de boissons sucrées que les personnes sans diplôme, chez qui le tabagisme quotidien touche environ 35 % contre moins de 20 % pour les diplômés. Cette littératie en santé permet de mieux comprendre les informations médicales, de naviguer dans le système de soins et d’adopter des comportements préventifs.
Le chômage de longue durée accroît le risque de dépression et d’isolement, tandis que certaines professions exposent à des risques physiques ou chimiques, comme l’amiante ou les pesticides. Le travail de nuit ou posté, fréquent dans les emplois peu qualifiés, augmente les risques cardiovasculaires et métaboliques. L’INRS rappelle que les troubles musculo-squelettiques constituent la première cause de maladie professionnelle en France.
La pollution atmosphérique provoque environ 40 000 décès prématurés chaque année en France selon Santé publique France, soit environ 7 % de la mortalité totale, avec une perte moyenne d’espérance de vie de 7,6 mois. Les populations modestes, plus souvent installées près des axes routiers ou zones industrielles, sont les plus touchées. Les politiques environnementales visant à réduire les émissions, développer les transports propres ou améliorer la qualité de l’air intérieur dans les écoles s’affirment donc comme des politiques de santé publique.
L'évis des experts sur ces inégalités et les conséquences sur la santé publique
Les experts, comme ceux cités par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), soulignent que les réponses doivent être intersectorielles. Urbanisme, logement, transport, éducation, agriculture et environnement doivent intégrer la santé dans leurs décisions. La CNCDH recommande la création d’une Délégation interministérielle de la santé publique et d’un Observatoire indépendant des inégalités de santé.
Comme le résume Michael Marmot dans The Health Gap (2015), les disparités de santé résultent d’obstacles structurels liés aux décisions politiques et aux normes sociales, et les corriger nécessite des choix tout aussi structurels. Agir sur les déterminants sociaux, c’est s’attaquer aux causes des causes. En améliorant les conditions de vie, la société améliore durablement la santé collective et réduit les inégalités, ce qui en fait un enjeu de justice sociale et un baromètre du progrès.
De Laure ROUSSELET
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