“Différente” : l’autisme au féminin dans le cinéma français

Avec Différente, Lola Doillon signe un film véritablement juste et rare. Celui d’une femme adulte qui découvre sa singularité sur le tard, sans clichés ni caricature. Katia, 35 ans, documentaliste, voit son quotidien évoluer lorsqu’elle met un mot sur ce qui la rendait « à part » : l’autisme.

À part peut-être Hors Normes, quels sont les autres films français représentant explicitement des personnages autistes ? Encore plus pointu : quels films français parlent d’autisme au féminin ? Chez des femmes adultes ? Et le tout, de façon juste ? Jusqu’à récemment, la réponse était presque inexistante.

Une histoire universelle pour des personnages uniques

Tout d’abord, le film n’aurait jamais été possible sans la performance de Jehnny Beth, l’actrice principale. Bien que n’étant pas elle-même concernée par l’autisme, elle a fait la rencontre de femmes autistes qui l’ont inspirée et lui ont permis d’interpréter Katia sans en faire la caricature. Jehnny Beth livre une performance sincère et émouvante.

Chacun des personnages est unique tout en étant authentique, ce qui nous permet de nous reconnaître en chacun des personnages. Face à l’annonce d’un handicap, les réactions varient. C’est le cas de l’entourage de Katia, qui va d’une incompréhension, à un rejet total de l’autisme. Les proches de Katia sont importants car ils permettent à un public non concerné de se retrouver à l’écran, dans ces personnages. Le petit ami et la mère de Katia sont un miroir de la société. Ils offrent une prise de conscience face à l’ignorance collective sur l’autisme. On n’en parle pas assez. Et cela résulte en des réactions validistes et violentes de la part de personnes de confiance. La mère de Katia n’accepte pas le diagnostic si tardif de sa fille et le prend personnellement. Ce n’est malheureusement pas un récit isolé mais le vécu de nombreuses femmes autistes. En effet, les femmes autistes obtiennent souvent un diagnostic tardif, à cause d’un camouflage de leur handicap mais aussi à cause des recherches scientifiques, se portant en grand nombre sur des petits garçons.

Les diversités dans l’autisme

Le début et la fin du film sont peut-être les seuls reproches à lui faire. Dès les premières scènes, Katia coche toutes les cases du DSM-V (le manuel diagnostique et de statistique des troubles mentaux) sur l’autisme, ce qui rend le personnage assez faux. Katia paraît robotique, froide, sans comprendre aucune règle sociale. Mais après une douzaine de minutes, le personnage devient de plus en plus accessible. On entre dans son univers et elle paraît soudainement moins stéréotypée. Elle n’est plus aussi rigide et montre plusieurs facettes de sa personnalité et devient humaine. Elle n’est plus simplement cette liste de symptômes de l’autisme mais une personne à part entière, qui n’est pas simplement définie par son handicap, elle est plus que ça.

Les fausses idées sur l’autisme partent souvent d’une vérité. Oui, les personnes autistes peuvent être des petits génies scientifiques sans arriver à s’intégrer en société. Seulement, il ne faudrait pas réduire l’autisme à cette facette. L’autisme est un spectre et peut se représenter de tant de façons différentes. On dit souvent qu’il y a autant de formes d’autisme que de personnes autistes. C’est le cas pour Katia, qui se passionne pour les langues régionales et en connaît même plusieurs.

Hypersensorialités

L’autisme, c’est aussi la surstimulation, c’est-à-dire une surcharge sensorielle, pouvant parfois mener à des crises autistiques. Ces dernières se classent en deux catégories : le meltdown (crises explosives avec des manifestations émotionnelles très intenses) et le shutdown (crises d’épuisement, besoin de renfermement et de repos pendant plusieurs jours consécutifs, peut être la suite d’un meltdown). Comment représenter un fonctionnement si intime et interne à l’écran ?

Katia est très sensible aux bruits environnants mais également aux lumières, l’aveuglant facilement. Au début du film, elle découvre les nouveaux locaux de son travail : un open-space. Alors qu’elle s’assoit à son bureau, la caméra se rapproche lentement de son visage. Les claviers d’ordinateur, les cliquetis des stylos, le grésillement des néons, sa collègue qui lui adresse la parole, tout devient confus et se transforme en brouhaha. Mais après avoir reçu son diagnostic, Katia s’autorise enfin à faire les changements nécessaires pour adapter son travail. Elle revient à son bureau avec un casque anti-bruit et des lunettes de soleil et elle réussit alors à travailler.

Malheureusement, l’adaptation ne peut pas toujours venir d’elle-même. Lorsque son petit ami la tire de force à une soirée, elle ne peut pas fonctionner comme les autres. Les flashs de lumières, la musique assourdissante de techno et des personnes qui dansent trop près d’elle, elle n’arrive pas ou plus à camoufler. Une crise se déclenche et elle quitte la soirée en vitesse pour rentrer chez elle, au calme. Même si elle essaie constamment de prendre sur elle et de cacher sa différence, Katia s’autorise tout de même à vivre à sa façon chez elle. Pour se calmer, elle s’allonge sur le dos, au sol, et observe les reflets rassurants de sa lampe sur le plafond. La mise en scène, malgré la présence de son entourage, prend toujours le point de vue de Katia lorsqu’il s’agit de montrer son hypersensorialité. Non, ce ne sont pas juste des jolies lumières mais des flashs aveuglants. Non, ce ne sont pas des musiques cools de soirée, le tempo est agressif et chaque battement se transforme en un coup porté au tympan de Katia. Non, elle n’exagère pas, son cerveau lui fait ressentir les choses différemment.

Mais ce n’est pas toujours négatif. Lorsqu’elle et son petit ami se baladent en voiture, elle rit aux éclats et ils dansent sous la pluie. Lorsque Katia se réveille au petit matin, elle observe les rayons de soleil, cachée sous sa couette, qu’elle soulève délicatement. Le film offre alors une véritable expérience sensorielle, ne se limitant pas qu’à la vue et à l’ouïe mais aussi au toucher.

Un nouveau départ

Katia est un personnage différent dans le film mais également hors du film. Les femmes autistes adultes ne sont jamais représentées à l’écran. Il est important de voir ces personnages aussi, tout le monde doit pouvoir retrouver son histoire, se sentir écouté et compris.

Dans Différente, la fin peut paraître un peu abrupte, soudaine. Dans la réalité, il aurait peut-être été plus judicieux à Katia d’apprendre à bien connaître et vivre avec son autisme avant d’accepter de prendre en charge la vie d’un nouvel être humain, qui sera potentiellement aussi autiste ; le tout en ayant encore une relation compliquée avec son petit ami. Mais finalement, ce n’est pas si essentiel que l’histoire soit réaliste. Les personnages le sont, leurs problèmes le sont, leurs vécus le sont, et c’est cette caractérisation des personnages qui prime lorsqu’il s’agit de parler d’autisme. Montrer qu’une femme autiste peut être enceinte et devenir mère est important, plus que l’histoire autour.

Les messages et les morales de l’histoire sont ce que l'on retiendra inconsciemment du film. Il est alors essentiel de véhiculer des messages positifs et encourageants quand on a si peu de représentations de l’autisme au cinéma. Différente est le point de départ pour de nouvelles représentations, plus variées et plus justes de la neurodivergence à l’écran.

Le film de Lola Doillon fut projeté à l’Assemblée Nationale. Pouvons-nous espérer, en plus d’une prise de conscience de la société, de réelles actions de la part du gouvernement envers les personnes en situation de handicap ?

Écrit par Jasmine DUMAINE

*Source image: Memento productions

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